jeudi 30 novembre 2023

Jacques Prévert




CHANSON DE L’OISELEUR



Ton cœur qui bat de l’aile si tristement
Contre ton sein si dur si blanc 

L’oiseau qui vole si doucement
L’oiseau rouge et tiède comme le sang
L’oiseau si tendre l’oiseau moqueur
L’oiseau qui soudain prend peur
L’oiseau qui soudain se cogne
L’oiseau qui voudrait s’enfuir
L’oiseau seul et affolé
L’oiseau qui voudrait vivre
L’oiseau qui voudrait chanter
L’oiseau qui voudrait crier
L’oiseau rouge et tiède comme le sang
L’oiseau qui vole si doucement
C’est ton cœur jolie enfant

Jacques Prévert


samedi 18 novembre 2023

René Char

 


J’habite une douleur 
  
L'œil est précoce à se plisser.
La souffrance connaît peu de mots.
 
Préfère te coucher sans fardeau ; tu rêveras du lendemain et ton lit te sera léger.
 
Tu rêveras que ta maison n'a plus de vitres.
 
Tu es impatient de t'unir au vent, au vent qui parcourt une année en une nuit.
 
D'autres chanteront l'incorporation mélodieuse, les chairs qui ne personnifient plus que la sorcellerie du sablier.
 
Tu condamneras la gratitude qui se répète.
 
Plus tard, on t'identifiera à quelque géant désagrégé, seigneur de l'impossible.
 
Tu n'as fait qu'augmenter le poids de ta nuit.
 
Tu es retourné à la pêche aux murailles, à la canicule sans été.
 
Tu es furieux contre ton amour au centre d'une entente qui s'affole.
 
Songe à la maison parfaite que tu ne verras jamais monter.
 
À quand la récolte de l'abîme ?
 
Mais tu as crevé les yeux du lion.
 
Il n'y a pas de siège pur. 

Ne laisse pas le soin de gouverner ton cœur à ces tendresses parentes de l'automne auquel elles empruntent sa placide allure et son affable agonie.

Pourtant. 

Tu crois voir passer la beauté au-dessus des lavandes noires… 
Qu'est-ce qui t'a hissé une fois encore, un peu plus haut, sans te convaincre ?  

René Char,  Le Poème pulvérisé - 1945


jeudi 2 novembre 2023

Andrée CHEDID



Le monde succombe
Aux égorgeurs
En carcan de haine
Qui déciment les corps innocents

Puis s’échappant comme l’eau
De toute emprise
La liberté jaillit
Hors du joug des violences
Et des harnais du temps

Mais qui ramènera
Des contrées
De l’ombre et des glaives
Ces vies interrompues
Aux lisières de nos vies ?

Andrée Chédid