Noël approchait...
Aux jours qui se
faisaient courts, au vent qui soufflait et au ciel souvent maussade je me
rendais bien compte que l’hiver était proche. Et maintenant je savais que quand
on pense hiver, on pense Noël.
Chaque année mes
parents sortaient la crèche et complétaient la collection de santons, sous
chacun d’entre eux on notait l’année d’achat comme un millésime sur les
bouteilles, et comme pour le vin il y
avait des années meilleures que d’autres. Aujourd’hui les personnages se
retrouvaient groupés par affinités, il y avait les musiciens, les bergers avec
leurs chiens gardant les moutons, les villageois en costume et même des scènes de
village comme les vieux assis sur un banc à coté d’un puits.
Cette année je rêvais
d’un sapin. Ça sent bon un sapin, une odeur fraîche un peu sauvage. Jusque là maman
résistait prétendant que l’appartement était trop exiguë, que ça prenait trop
de place, que ça faisait trop de saleté avec toutes ces aiguilles qui se
planteraient dans la moquette…enfin un tas de bonnes raisons bien raisonnables.
Oui, mais moi cette
année je le voulais ce sapin. Aussi un soir je décidai de passer à l’action et
au moment de la préparation du dîner je demandai :
– Maman on pourrait
avoir un tout petit sapin cette année ? Mais le grondement de la hotte
aspirante devait couvrir ma voix car elle me répondit :
– Chéri, tu ferais
bien de mettre le couvert, le repas sera prêt dans un instant.
C’était pas
gagné ! Peut-être qu’en mettant le couvert sans rechigner et dès la
première sommation, j’allais m’attirer ses bonnes grâces, aussi je pris les
assiettes mais dans mes efforts de perfection, empilant les verres sur les
assiettes, puis entassant les couverts ce qui devait arriver arriva et les
couverts en tombant entraînèrent un verre qui roula puis un autre qui s’écrasa sur le carrelage.
C’était des vieux verres comme on n’en trouve plus, ils ne cassaient pas ils
explosaient en milliers de morceaux. Prudent je décidai de remettre ma demande
de sapin à plus tard et j’allais spontanément chercher l’aspirateur.
– Mais enfin Loulou que fais-tu, attention
voyons, c’est pas le moment, j’ai préparé du poisson et il va être trop cuit si
tu traînes encore.
Il ne manquait plus
que ça ! Du poisson ! Encore un truc sans goût avec plein d’arêtes…
La soirée est fichue pour le sapin, je voulais bien mettre des atouts dans mon
jeu mais je n’irais pas jusqu’à faire semblant d’aimer le poisson. Demain, on
verrait demain…
Il
me fallait des arguments et des soutiens. Avec un peu de ruse je pourrais arriver
à mettre « Pôv’chérie » de mon côté. Pôv’chérie c’est ma petite sœur,
la chouchoute à sa maman, Lucie a presque 3 ans et elle pleure avant même que
je l’approche, donc c’est toujours MOI le coupable, tout ça parce que je lui ai
tiré les cheveux une fois ou deux - pas plus - quand elle touchait à MES
affaires.
Cette fois je la
laisserai toucher à mes voitures, enfin les plus anciennes qui sont déjà un peu
cabossées, pas le dernier modèle que
papa m’a offert pour une super note à l’école, ce qui lui a valu les foudres de
maman qui dit que c’est normal de bien travailler et que les carottes sont pour
faire avancer les ânes (je n’ai pas bien compris ce que ces légumes et l’âne
venaient faire dans cette histoire de note) mais cette voiture rouge c’est le
top ! Enfin quand Azelle Lucie (c’est elle qui dit comme ça pour
Mademoiselle Lucie) sera occuper avec mes voitures je lui parlerai des sapins,
lui ferai écouter les chansons de circonstances : Mon beau sapin… et même inventerai une histoire disant que les
sapins attirent le Père Noël, que ça lui rappelle les forêts de son pays…bref
vrai un lavage de cervelle (les cerveaux c’est pour les garçons, c’est papa qui
l’affirme), comme pour les pubs à la télé, sapin sera le mot qu’elle entendra
sans arrêt jusqu’à en rêver la nuit.
Le père Noël vient du
pôle Nord, enfin pas très loin mais d’un pays où il y a des rennes. Le père
Noël s’appelle Alexandre et il a 6 rennes pour tirer son traîneau, c’est papa
qui me l’a dit. Mais maintenant je suis trop grand, je sais toute la vérité que
je dois cacher à Azelle Lucie, elle comprendra plus tard.
Pour
convaincre papa, je crois avoir une idée. Ce soir je lui demanderai de sortir
son album de photos, celui que lui a donné Mamynou.
Mamynou passe
quelques après midi au Club de l’âge d’or, et là elle s’est prise de passion
pour le scrapbooking depuis elle inonde la famille de ses albums-
souvenir décorés. Moi j’aime pas. Toutes ces décorations, petits nœuds, cœurs,
étoiles, bouts de ruban : ça fait kitch ! Mais ce soir ça devrait
servir mon plan. Mamynou a recherché toutes les photos qu’elle avait de papa
depuis le berceau jusqu’à l’année dernière, c’était son cadeau pour son
quarantième anniversaire. « A mi-vie » a-t-elle dit, il est temps de
faire le bilan de son passé. Eh bien, j’ai vu des photos de papa devant le
sapin de Noël car chez Mamynou il y avait un sapin et on mangeait toujours des
huîtres (beurk !), de la dinde avec des marrons, et une bûche au chocolat.
C’est la tradition et il ne faut pas que ça se perde, dit-elle. Maman, elle,
c’est plutôt nouvelle cuisine, je sens bien que ça grince fort entre toutes les
deux, mais à la guerre comme à la guerre Lucie, papa, Mamynou et moi contre maman : je devrais gagner la
bataille du sapin.
« Un
petit qui ne perd pas ses aiguilles » Et me voici en route avec papa pour
la jardinerie. Il y en avait des très grands, des grands, des moyens mais les
petits étaient tous moches, rabougris, déplumés…Il a fallu parlementer
(heureusement qu’on ne dit pas parle-mentir !) et nous nous sommes
retrouvés avec un « moyen ».
Là, les premières difficultés
sont apparues. Il ne rentrait pas dans le coffre. Evidement il pleuvait.
D’abord vider le coffre de tout ce qui est dedans et qui ne sert pas souvent,
Ensuite ôter le siège de Lucie pour faire basculer la banquette, entasser tout
ce qui était sorti sur le siège avant et m’installer derrière en tenant le
sapin pour lui éviter de rouler sur papa. Ça pique ! Maman l’avait dit
mais je serais stoïque.
« Mais où
voulez-vous mettre un truc pareil ? » Maman avait cédé mais sans
conviction. On a joué aux quatre coins et ça n’allait jamais : trop près
du buffet, trop devant la fenêtre et on
ne voyait plus le jour, trop dans le passage…enfin le voilà posé. Je n’en
pouvais plus, c’est lourd, ça piiiiique !
Patatrac, mal calé
dans son pied bancal, il est tombé ! Un bout de carton parvint à coincer
le socle et une ficelle discrète le retint à une poignée de porte :
« Surtout ne touchez plus à cette porte » prévint papa.
A la porte, on n’a
pas touché, personne, mais un courant d’air l’a fait claquer violemment !
Encore tout à refaire, je commençais à comprendre ma mère. Cette fois c’est
bon, il est là debout, c’est géant !
Et maintenant la
décoration : guirlandes, boules rouges et dorées… je vais chercher
l’escabeau et procéder méthodiquement. Commençant par les guirlandes, debout
sur la pointe des pieds sur l’escabeau je fais TRES attention, en voici une de
mise, pour la deuxième c’est plus facile, pour la guirlande clignotante un peu
moins, les diodes s’emmêlent et il me faut de l’aide surtout que Lucie m’énerve
en tournant autour de l’escabeau. Maman me dit de la laisser s’occuper à trier
les boules par couleur, oui mais moi je n’arrive pas à mettre mes guirlandes
sans tomber et à surveiller mes décorations. Cette fille n’a pas mon sens
artistique, elle veut mettre toutes les boules dorées d’un côté et les rouges
de l’autre, et moi je dis qu’il faut alterner les couleurs.
« Laisse Lucie
faire, il faut bien qu’elle participe aussi sinon plus de sapin » me serine maman,
j’entends papa qui répond : « Lucifer c’est comme ça qu’on
aurait du appeler mon petit diable ». Là non plus je n’ai pas compris
cette histoire, il parait que je « comprendrai plus tard » ! Ça c’est
une réponse que je déteste. Et pendant ce temps personne pour m’aider !
Enfin le sapin est
prêt, pas tout à fait à mon goût, ce soir je vais découper des monstres
préhistoriques, ces animaux sont ma passion, le tyrannosaure était redoutable
mais celui que je préfère c’est le ptérosaure,
je les collerai sur des cartons, je pense que ça fera très joli au bout
des branches avec les Led clignotants à la place des yeux ça sera super dans le
noir.
Super ça l’a été
surtout pour effrayer Lucie qui s’est mise à hurler et à trembler.
« Quelle
horreur » cria maman à son tour.
Décidément ma
décoration personnelle ne séduisait pas le clan féminin de la maison.
Et voilà plus de
monstres…enfin j’avais mon sapin. En
fait j’étais un peu déçu. Il ne sentait rien ! Pourtant quand on se
promène en vacances dans les Landes ça sent bon la résine, et là rien ! Ce
sapin c’était en plein hiver un souvenir d’été, mais lui aussi déçu de se
trouver dans une ville qu’il ne
connaissait pas, à l’étroit dans un appartement, il boudait et retenait son parfum, je voyais
bien qu’il me défiait.
Heureusement Noël a
fait oublier tous ces tracas. Ce sapin aura été une expérience. Finalement mon
rêve était plus beau que la réalité mais c’est sans doute le cas de tous les
rêves, une raison de plus pour les vérifier et je suis certain qu’un jour je réaliserai celui
de dénicheur de nouveaux dinosaures en Australie…
Vous avez reconnue la photo des boules de Noël de Lénaïg qui ont illustré le coucou du haïku de la semaine passée et la carte de Lecture & Dialogue...