Convolvulus, dit belle de jour
Quand je parcourais les campagnes en amateur fervent et, si j’ose dire,
irresponsable, quand je regardais la nature sans en avoir charge et souci,
j’aimais beaucoup le petit liseron des champs. Je l’aimais pour sa fleurette,
je l’aimais pour son nom français qui est gracieux, je l’aimais pour son nom
latin qui pourtant aurait dû m’avertir car il sent la passion, la torsion, la
crise de nerfs.
Depuis que je le vois à l’œuvre, de
près, chaque jour de l’année, je déteste le liseron et, qui pis est, je le méprise.
C’est un personnage terrible, sans scrupule et sans pitié. Je ne lui fais pas
grief d’être d’apparence chétive. Il rampe, mon Dieu ! C’est son droit. Il
grimpe et c’est là son courage. Ce que lui reproche, c’est d’étouffer ceux dont
il se sert. Il a d’abord l’air modeste. Il demande la charité, l’assistance.
« Un tout petit coup de main mon bon monsieur, s’il vous
plaît ! » On le laisse faire, on l’admet à table. Alors il
s’enhardit, il se ramifie, il s’élance, il s’étale, il occupe toute la place.
Il sait tourner, il sait feindre, il a toutes les patiences. Quelques jours
encore, et il n’y aura plus d’espace, plus d’air, plus de soleil, plus
d’espérance que pour lui. Cependant, son bienfaiteur suffoque, râle, agonise.
Et ce travail aérien n’est pas le
plus redoutable. L’ambitieux, sous terre, propage d’insidieuses racines dont le
moindre fil suffit pour emprisonner tout un jardin, tout un pays.
Tel est le gentil liseron.
J’ai cru longtemps, j’ai longtemps
publié que la connaissance est amour. Eh bien, ma foi, je me trompais. Je
connais bien le liseron.
Georges DUHAMEL (1884 - 1966)
Fables de mon jardin -1936