Minuit
C’est toujours le même doute :
On la guette ; elle approche sans bruit ;
Elle rit tout bas et froufroute
Entre les algues bercées :
Elle s’est doucement glissée
À travers les brisants, là-bas, dans la nuit ;
Elle a peur qu’on l’écoute ;
Et, sur le sable discret,
Elle hésite et recule d’un pas,
Et les algues s’égouttent…
Mais la voici qui bute aux galets
Qui s’écroulent en fracas !
Entends-la, maintenant, la voilà reconnue ;
Elle éveille la dune
D’un grand cri de défi
Et se lève, éperdue,
Avec sa chevelure d’écume, sous la lune,
Qui s’y pose, cornue…
Elle en rit, forte et franche et s’en pare
Scintille et monte en chantant,
Riche d’une résille hilare
De rayons de lune éclatants ;
Elle varie son air au hasard de la grève ;
Selon galets ou sable, elle mêle
Aux plaines de l’Arc éternel
La voix claire et frêle du Rêve;
Car notre âme est en elle…
S’en aller à elle et l’étreindre
Et se fondre en sa caresse vive!
Se vêtir d’elle et la ceindre
Et se draper en elle et en vivre
Et rire en sa voix et s’y plaindre
Et la pleurer toute et la suivre !
Car la voici étale ; elle est
lasse
De son œuvre fatale et vaine ;
C’est l’heure des affres humaines :
Par-delà les grèves basses,
S’en retournant, elle entraîne
Vers l’éternité sans trace,
En son filet qui racle et qui roule
Et se tord et hurle en la houle,
L’âme des morts que l’aube chasse…
Francis
Vielé-Griffin 1864 – 1937 La clarté de vie