Dansez, les petites
barques !
Dansez, les petits bateaux
Sur lesquels on voit des marques
De gros couteaux !
Dansez, les petites
barges
Sur lesquelles sont écrits
Des noms cordiaux et larges
Comme des cris !
Dansez, le Requin de
Nantes
Le Marsouin de Paimpol,
Que des cordes frissonnantes
Tiennent au sol !
Dansez ces danses,
penchées
Par l’effort sur un lien,
Que les barques attachées
Dansent si bien !
Quand on tient par une
amarre
Que l’on ne peut pas casser
Au port plat comme une mare,
Il faut danser !
L’air a tant de
transparence
Qu’on peut, au lointain de l’eau
Où vient se jeter la Rance,
Voir Saint-Malo !
Dansez ! – En cognant
vos quilles,
Faites onduler vos rangs !
Les paniers sont pleins d’équilles
Et de harengs ;
Dans l’odeur d’algue
et d’éponge
Du petit port trop serein,
Barques, bercez-vous d’un songe
Glauque et marin !
Sachez la vertu d’un
câble
Et que tout l’or du lointain
Est dans ce chanvre implacable
Qui vous retient !
On fait dans le creux
d’une anse,
Les voyages les plus beaux
Pendant qu’on tire en silence
Sur ses anneaux !
Alors, pourquoi le
voyage ?
Mon Dieu, si c’est pour laisser
Un sillage, -tout sillage
Doit s’effacer !
C’est pourquoi, dansez
sur place !
On voit au loin Saint-Malo…
Le soir vient…la brise est lasse…
Dansez sur l’eau !
Edmond
Rostand 1868 – 1918 (Les Musardises)