Pour les croqueurs de mots N° 95 Lénaïg à la barre
Nicolas Toussaint Charlet, 1836
Épisode de la retraite de Russie
Il neigeait. On était vaincu par sa conquête.
Pour la première fois l'aigle baissait la tête.
Sombres jours ! l'empereur revenait lentement,
Laissant derrière lui brûler Moscou fumant.
Il neigeait. L'âpre hiver fondait en avalanche.
Après la plaine blanche une autre plaine blanche.
On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau.
Hier la grande armée, et maintenant troupeau.
On ne distinguait plus les ailes ni le centre :
Il neigeait. Les blessés s'abritaient dans le ventre
Des chevaux morts ; au seuil des bivouacs désolés
On voyait des clairons à leur poste gelés
Restés debout, en selle et muets, blancs de givre,
Collant leur bouche en pierre aux trompettes de cuivre.
Boulets, mitraille, obus, mêlés aux flocons blancs,
Pleuvaient ; les grenadiers, surpris d'être tremblants,
Marchaient pensifs, la glace à leur moustache grise.
Il neigeait, il neigeait toujours ! la froide bise
Sifflait ; sur le verglas, dans des lieux inconnus,
On n'avait pas de pain et l'on allait pieds nus.
Ce n'étaient plus des cœurs vivants, des gens de guerre ;
C'était un rêve errant dans la brume, un mystère,
Une procession d'ombres sous le ciel noir.
La solitude vaste, épouvantable à voir,
Partout apparaissait, muette vengeresse.
Le ciel faisait sans bruit avec la neige épaisse
Pour cette immense armée un immense linceul.
Et, chacun se sentant mourir, on était seul.
- Sortira-t-on jamais de ce funeste empire ?
Deux ennemis ! Le Czar, le Nord. Le Nord est pire.
On jetait les canons pour brûler les affûts.
Qui se couchait, mourait. Groupe morne et confus,
Ils fuyaient ; le désert dévorait le cortège.
On pouvait, à des plis qui soulevaient la neige,
Voir que des régiments s'étaient endormis là.
O Chutes d'Annibal ! Lendemains d'Attila !
Fuyards, blessés, mourants, caissons, brancards, civières,
On s'écrasait aux ponts pour passer les rivières.
On s'endormait dix mille, on se réveillait cent.
Ney, que suivait naguère une armée, à présent
S'évadait, disputant sa montre à trois cosaques.
Toutes les nuits, qui vive ! alerte, assauts ! attaques !
Ces fantômes prenaient leur fusil, et sur eux
Ils voyaient se ruer, effrayants, ténébreux,
Avec des cris pareils aux voix des vautours chauves,
D'horribles escadrons, tourbillons d'hommes fauves.
Toute une armée ainsi dans la nuit se perdait.
L'empereur était là, debout, qui regardait.
Victor Hugo - Les Châtiments
Petit de taille mais il avait de grands desseins... Merci Josette, je te souhaite le bon jeudi/poésie, bises de jill
RépondreSupprimerc'est le grand froid de cette grande retraite...qui m'a impressionnée avec les mots du grand Victor !
Supprimerbises Dame Jill
Merci, Josette, pour cette piqûre de rappel. Comme il décrivait bien les choses, ce Cher Victor.
RépondreSupprimerUn poème qui prend aux tripes, et qui fait froid dans le dos.
Bonne journée !
un grand poème d'un grand auteur...c'était "grand" le thème Claude
Supprimerpiqure de rappel ! oui !
RépondreSupprimerj'ai appris ça à l'école...il y a bien longtemps !
Eliane
oui Éliane, le grand Hugo savait avoir la plume épique...
SupprimerAvec ce magnifique texte, tu touches une de mes cordes sensibles, j'aime beaucoup ce texte...
RépondreSupprimer"Après la plaine blanche, une autre plaine blanche..."
Grandeur et décadence magistralement écrites par Victor Hugo
il y a tant de musique dans ce texte Annick !
SupprimerBonjour Josette. Grande fut la gloire, grand fut l'empire, aussi grands et même pires furent le désastre et le déclin. Magnifique choix que j'ai aimé relire en prenant mon temps, merci beaucoup, Josette. Et froide est la température, même si nous n'avons pas de neige ! Belle journée, gros bisous.
RépondreSupprimerde grandes visions et Hugo est un grand maître pour les transcrire.
Supprimergros bisous !
"
RépondreSupprimerIl neigeait. On était vaincu par sa conquête.
Pour la première fois l'aigle baissait la tête."
Oh poésie de mon enfance !
Merci Josette !!!
Je vais revenir un peu plus tard, pour déguster :-)
oui, Fifi un texte qui se déguste, il est si évocateur
SupprimerPour vous répondre j'ai mis ce lien dans les commentaires:
RépondreSupprimerhttp://www.edu.augustins.org/pdf/second/ps/psoe02.pdf
merci je vais aller le consulter, elle est très belle cette statue
SupprimerLes chevaux... un grand point dans cette défaite/retraite.
RépondreSupprimerMagnifique poème.
Merci pour le commentaire Thérèse
SupprimerJe ne sais pas si nos jours, les jeunes lycéens apprennent toujours de si longues poésie? ...
RépondreSupprimerPour ce qui est de la petite crêpe au miel et citron, c'est quand tu veux, il en reste encore!
je ne sais pas si ils connaissent Victor Hugo!
Supprimerj'arrive pour la crêpe :-))
Comme il m'a bouleversé à l'école ce beau et terrible texte !
RépondreSupprimerMerci Josette
Bises du jour
il faut reconnaître qu'il a du souffle et qu'il fait frémir...
Supprimerbises Marine des oiseaux
je me souviens de cette récitation!! Mon Dieu que c'était difficile d'y mettre le ton....
RépondreSupprimer"l neigeait. Les blessés s'abritaient dans le ventre
Des chevaux morts ; au seuil des bivouacs désolés
On voyait des clairons à leur poste gelés".... cette phrase me terrifiait !! bises!
et il y a de quoi le ventre des chevaux morts c'est terrible...
Supprimerbonne soirée Chaourcinette j'espère que tu n'as plus de problème avec tes dents ;-))
Non! ma facette a été remise en place par mon parfait dentiste !! tout va donc pour le mieux! bises!
SupprimerJe ne suis pas la seule je vois, à être bouleversée. Les chevaux morts me faisaient pleurer et je ne pensais pas un seul instant aux soldats. J'en voulais beaucoup à Napoléon et à Mr Hugo de raconter ces horreurs.
RépondreSupprimerMais quel génie tout de même.
Grosses bises Josette. Belle soirée.
moi c'était de penser qu'on entre dans le ventre qui me faisait peur !
Supprimerbonne soirée et bises Mireille
Bonsoir Josette,
RépondreSupprimerJe n'ai pas eu à apprendre ce texte par coeur durant ma scolarité. Est-ce un bien ou un mal ? Je te laisse juge. Depuis, j'ai appris à connaître Victor Huguo et ses écrits. Quoi qu'il en soit, ce texte est vraiment très beau. On ressent toute la tristesse des grognards et la noirceurs de la retraite de Russie. C'est d'ailleurs suite à cette défaite sur les bords de la rivière "Bérézina" que le nom de ce dernier est passé dans le langage courant pour désigner une action qui tourne à la catastrophe.
Bonne soirée... littéraire,
Bises.
Moscou incendié le froid et la neige...la campagne de Russie nous laisse des poèmes "épiques" et des tableaux grandioses...
Supprimerbeaucoup plus tard et en France nous auront le mot bistrot (vite) qui passera dans le vocabulaire courant !
bonne nuit Laurent
Ce que je vois en premier sur cette toile, c'est le ciel lugubre, menaçant pour enfermer la bêtise de la guerre et tous ces pauvres malheureux qui n'ont rien demandé...
RépondreSupprimerLe poème de Hugo est proportionnel à ce cauchemar !!!
Bonne soirée !
oui Martine ce tableau montre très bien la noirceur des guerres...qui sont toujours hélas d'actualité même si la technique évolue !
SupprimerJ'ai appris ce texte à l'école primaire et je me souvient encore de quelques vers
RépondreSupprimerun texte qui marque !
SupprimerIl est terrible ce poème!
RépondreSupprimerIl m'a foutu le bourdon!
Je vais vite chercher quelque chose de léger pour le digérer!
***
BISOUS ma belle Josette****
une p'tite tisane ou un verre avec des glaçons Mildred ça va te remonter le moral :-))
Supprimerzoubis
La soif de grandeur finit mal en général. Une illustration terrible décrite par un Grand de la littérature.
RépondreSupprimerMême de Victor Hugo, je ne sais quoi m'empêche de m'attarder sur cette description tragique et sinistre.
Bises et belle fin de semaine Josette
Shakespeare le fait dire dans Jules César, le mal que les hommes font vit après eux le bien est enterré avec les os !
SupprimerDi: Victor Hugo décrit l'horreur avec une plume dont les mots font peur. Mais il le fait avec le grand talent qu'on lui connait. Rien n'empêche que la réalité est là derrière sa plume.
RépondreSupprimermaintenant la civilisation de l'image oublie les mots terribles qui ne s'oublient pas
SupprimerMerci de ta visite Di